vendredi 31 octobre 2008

« Le boulevard périphérique » d'Henry Bauchau

A 95 ans, Henry Bauchau, poète, romancier, dramaturge et psychanalyste nous offre une méditation sur la mort et la présence des morts en nous.

Pour rendre visite à sa belle-fille qui se meurt d’un cancer, le narrateur emprunte chaque jour le boulevard périphérique, qui tel un Styx de bitume sépare les vivants des morts. Mais pour Bauchau, les morts ne sont pas en Enfer, ils sont encore bien présents au fond de nous et leur influence, lumineuse ou maléfique se fait encore sentir. Parcourant ce chemin de croix, le narrateur exhume du fond de sa mémoire, le souvenir de deux hommes disparus aujourd’hui, deux figures opposées entre lesquelles il a dû naviguer : Stéphane, l’éphèbe plein de grâce et de légèreté et son double sombre, Shadow, incarnation du mal. Le vieillard tente de comprendre la fascination que ces deux figures ont exercé sur lui, jeune homme, et analyse le combat entre ces deux hommes Shadow le SS qui a tué Stéphane le résistant : « Moi aussi, je pèse lourd avec ma cargaison d'espoirs, de désirs, d'amours en regard de la petite barque et de la grande voile blanche de Stéphane. Tous deux sont allés bien plus loin que moi dans la réalité, Shadow dans la pesanteur, dans la dure complexité du monde, Stéphane dans l'allégement, dans une allégresse blessée par la vie, dans un soulèvement de plante qui sort de la terre sans savoir encore s'il y a un soleil ».

Ce roman vibrant au style poétique et lumineux a obtenu le prix du livre Inter en 2008.

Henry Bauchau, « Le boulevard périphérique », Actes Sud, 256 p., 19,50 €

mardi 28 octobre 2008

"Madame de Sade "de Mishima


Les mots claquent comme le fouet du divin marquis sur la scène du théâtre des Abbesses. Cinq femmes s’y affrontent dans des joutes verbales splendides et cruelles. Cinq femmes sur la scène et pourtant le personnage principal de cette pièce est un homme qui, bien qu’absent, hante tous les esprits : le marquis de Sade.

Au cours de trois journées qui s’étalent sur une période de 18 ans, se disputent, s’allient, se défient et s’opposent l’épouse, Renée de Sade, Anne sa sœur, la dévote Mme de Simiane, la libertine Mme de Saint-Fond et Madame de Montreuil, la belle-mère du marquis. Sous le regard de la servante Charlotte jouée par un homme, emprisonnées dans de somptueuses robes-cages à roulettes, elles tournoient sur un échiquier au sol, en évoquant le marquis pour l’encenser ou le conspuer, en tout cas essayer de comprendre la fascination qu’il exerce sur elles. Prises dans la tourmente de la révolution en marche, elles cherchent désespérément un Dieu en qui croire.

Mishima a écrit « Madame de Sade » en 1965 soit cinq ans avant son suicide. Il est parti d’une énigme historique : la fidélité absolue de la femme du marquis de Sade en dépit des souffrances plus morales que physiques que lui inflige son mari, puis sa rupture brutale à la sortie de prison du marquis. La pièce interroge sur le désir d’une femme qui se dévoue corps et âme à son fascinant mari « qui a su tirer du mal un jeu de lumières et a transmué en sainte essence la substance de l’ordure qu’il avait recueillie », comme si elle ne pouvait s’élever à la hauteur de son mari qu’en opposant à son libertinage absolu une fidélité absolue.

La mise en scène de Jacques Vincey frappe les esprits et les yeux par son raffinement et sa précision. La distribution très homogène sert remarquablement bien ce texte magnifique ;et l’adaptation de la pièce de Mishima par André-Pierre de Mandiagues dans un style élégant et somptueux est très claire.

« Madame de Sade » de Mishima par Jacques Vincey, théâtre des Abbesses jusqu’au 24 octobre puis en tournée en France.

lundi 20 octobre 2008

"Ricercar" par François Tanguy




Un déluge de musique, de lumières, de voix. C’est une expérience déroutante que proposent François Tanguy et sa troupe du théâtre du Radeau, avec « Ricercar ». Ce théâtre, que l’on peut qualifier de non-dramatique, puisqu’on n’y distingue ni personnages ni histoire, repose sur le montage, la superposition, le chevauchement d’éléments divers.

Sur une scène tout en profondeur où l’espace se transforme sans cesse, des hommes dans des costumes gris et des femmes aux visages surmaquillés de blanc habillées de robes débordant de jupons se déplacent, dansent, se portent, déclament ou murmurent des bribes de textes, en français ou dans des langues européennes, parfois inaudibles quand la musique les recouvrent. Le texte n’est qu’un matériau parmi d’autres (musique, lumières, déplacement) grâce auxquels le metteur en scène cherche à faire surgir l’émotion.

Pris dans cette profusion de vociférations, de lumières, de mouvements, de musique tonitruante, le spectateur a bien du mal à s’y retrouver. Il ne suffit pas de vouloir faire poétique à grand renfort d’effets dramatiques pour faire naître l’émotion. Car trop de sensations annule la sensation. Et le spectateur saturé attend la fin de ce spectacle grand-guignolesque et confus comme une délivrance.




"Ricercar" de François Tanguy et le théâtre du radeau, Odéon-Ateliers Berthier, jusqu'au 19 octobre puis en tournée en France.

mercredi 15 octobre 2008

"Tartuffe" à l'Odéon


Que ceux qui croient tout connaître de « Tartuffe » se précipitent au théâtre de l’Odéon où Stéphane Braunschweig, en centrant la pièce sur le désarroi d’Orgon, l’éclaire d’un jour nouveau. Le rideau se lève sur une scène de luxure. Ce prologue ajouté par le metteur en scène donne le la de la pièce : c’est de la violence du désir et du désarroi qu’il provoque dont il sera question. Car Orgon, le chef de famille sous la coupe du dévot Tartuffe au point de lui donner sa fille en mariage, apparaît comme un homme tourmenté par des désirs qu’il refoule faute de les assouvir. Claude Duparfait incarne à la perfection cet homme perdu, serré dans des vêtements étriqués, qui semble prisonnier de son corps.

Même si la pièce garde son caractère de farce grâce à la verve de la pétillante Dorine, Stéphane Braunschweig en propose une lecture profondément tragique en mettant en lumière l’impuissance de la raison face à l’aveuglement et aux pulsions : Orgon reste sourd au discours de bon sens porté comme souvent chez Molière par la servante Dorine.

Loin d’être partisan de l’effacement du metteur en scène, Braunschweig offre au contraire une interprétation personnelle de la pièce, renforcée par une mise en scène très efficace où tout fait sens. Ainsi, la maison aux allures de prison dont les hauts murs s’élèvent jusqu’aux cintres laisse paraître au fur et à mesure que l’action progresse une sorte de cave dans laquelle les personnages sont comme pris au piège. Au total ce « Tartuffe » parvient, grâce à une mise en scène d’une clarté et d’une pertinence rares, à donner une réelle épaisseur aux personnages.

« Tartuffe » de Molière, mis en scène par S. Braunschweig, Théâtre de l'Odéon, du 17 septembre au 25 octobre 2008, du mar au sam à 20 h ; dim à 15 h. Durée : 2 h 15 sans entracte

jeudi 9 octobre 2008

"Pour vous" de Dominique Mainard

Delphine une jeune femme de 35 ans a créé une agence de services à la personne d’un genre un peu particulier « Pour vous ». Car ce qu’elle propose, c’est du rêve et de l’illusion. Cette illusionniste des sentiments endosse tous les rôles pour combler les manques de ses clients : petite fille auprès d’un vieux monsieur délaissé, confidente d’un adolescent qui ne parvient pas à se faire des amis, intermédiaire d’un couple adultérin. Car qui n’a pas « parfois besoin d’un peu de répit, voire d’un peu de rêve» ? Même quand elle atteint des zones troubles, en prêtant le bébé de son assistante à un couple en mal d’enfants ou en faisant payer à sa propre mère le temps passé à déjeuner avec elle, l’héroïne reste imperturbable. Rien ne semble l’atteindre, ni les scrupules, ni les émotions. Si les sentiments constituent son fond de commerce, Delphine froide et calculatrice semble bien incapable d’en éprouver. Mais un jour ce masque d’indifférence se fissure. Lorsque Jones l’ami gigolo d’un ancien client vient à l’agence, notre héroïne découvre qu’elle a un cœur…

Dominique Mainard est l’auteur de plusieurs nouvelles et romans dont « Les mots bleus », adapté au cinéma par Alain Corneau. Elle excelle à dépeindre la solitude des temps modernes dans un style sec et dénué de pathos. Malheureusement, la métamorphose de l’héroïne froide et insensible en midinette enamourée est bien trop brutale pour être crédible. L’auteur est apparemment plus à l’aise pour décrire la solitude que l’amour et les pages sur l’éveil sentimental de la narratrice sombrent dans la mièvrerie.

« Pour vous » de Dominique Mainard, Joëlle Losfeld, 260 pages, 17€.

lundi 6 octobre 2008

Nuit blanche pour Régis Jauffret et ses microfictions

La « nuit blanche » a connu cette année un événement littéraire majeur : la lecture des « Microfictions » de Régis Jauffret. Pendant huit heures se sont succédé sur la scène du théâtre du Rond-Point plus de cent personnalités incarnant les personnages torturés de « Microfictions ». Parmi ces écrivains et comédiens qui ont prêté leur voix à ce texte grinçant citons Pierre Arditi, Ariane Ascaride, Josiane Balasko, Frederic Beigbeder, Charles Berling, Eric Caravaca, Philippe Djian…

Dans ces « fragments de la vie des gens », des hommes, des femmes, des enfants, riches ou pauvres, jeunes ou vieux racontent leurs crimes, leurs délires, leurs infamies, leurs joies, leurs bonheurs. Au fil de ces 130 portraits, se dessine une humanité féroce parfois tendre et toujours un peu déboussolée. L’auteur démontre une capacité incroyable à se mettre dans la peau de ses personnages, ainsi qu’un sens de l’image juste comme dans ce passage où un clochard compare son visage à « une timbale en fer blanc cabossé à force d’avoir heurté l’angle des trottoirs »…Une plongée vertigineuse dans les tréfonds de l’âme humaine.

Que ceux qui ont raté cet événement soient - en partie- consolés : du 5 au 30 décembre 2008 R. Jauffret lit son dernier roman « Lacrimosa » toujours au théâtre du Rond-Point.
"Microfictions" de Régis Jauffret, Gallimard, Folio 2008, 9,40€.