lundi 29 décembre 2008

"Appelez-moi par mon prénom" de Nina Bouraoui

A ceux qui pensent avec Denis de Rougemont que "l'amour heureux n'a pas d'histoire" , Nina Bouraoui apporte un démenti avec son 11ème roman "Appelez-moi par mon prénom", le récit à la première personne des prémices de l'amour entre une femme écrivain et un jeune homme.

Dans une librairie en Suisse, une romancière rencontre l'un de ses lecteurs, un jeune homme de 16 ans son cadet qui lui remet une lettre dans laquelle il lui explique comment ses romans l'ont aidé à vivre. Il lui donne également une vidéo inspirée par son oeuvre. Commence alors une longue correspondance par mail entre la narratrice parisienne et son lecteur suisse.

Après plusieurs romans décrivant des passions violentes, "Appelez-moi par mon prénom" montre le lent surgissement de l'amour à travers les mots, avec ses doutes, ses remises en question, jusqu'à l'évidence finale, celle de deux désirs qui se reconnaissent et s'accordent. Nina Bouraoui excelle à peindre les étapes du sentiment amoureux, à analyser avec beaucoup de finesse le moment où tout bascule, où une vague attirance se transforme en passion. Les plus beaux passages du roman sont ceux d'avant la rencontre des corps, ceux où l'amour naît des mots, où le fantasme se nourrit de l'absence.

Même si certains passages aux phrases saccadées et à la structure identitique sont un peu lassants et si certaines images prêtent à sourire ("Je comparais l'existence à une lave chaude et dorée, coulant sous nos peaux"), l'auteur réussit souvent à cristalliser en une formule belle et juste les débuts de l'éblouissement amoureux. Un très beau roman sur le discours amoureux au temps des nouvelles technologies.

"Appelez-moi par mon prénom" de Nina Bouraoui, Stock, 2008, 112 p., 14,50 €.

lundi 22 décembre 2008

« L’affaire de Road Hill House » de Kate Summerscale

En 1860, l’Ouest de l’Angleterre est sous le choc d’une des plus mystérieuses affaires criminelles, l’affaire de Road Hill House. Un petit garçon est retrouvé assassiné dans la demeure de ses parents à Road dans le Wilthshire. Très vite, il s’avère que le coupable ne peut être qu’un membre de la maisonnée : parents, domestiques, frères et sœurs, sont soupçonnés. C’est alors qu’un nouveau personnage fait son entrée : le détective Jack Whicher, l’un des premiers détectives de l’Histoire réputé pour avoir résolu des affaires complexes grâce à son intuition, arrive tout droit de Scotland Yard . La presse de l’époque s’empare de ce fait divers inquiétant. Mais surtout l’affaire fait réagir, passionne et influence les grands auteurs contemporains dont Dickens ou Wilkie Collins.

« L’affaire de Road Hill House » de Kate Summerscale retrace ce fait divers passionnant avec minutie. Aux confins de l’histoire, la littérature et l’histoire littéraire, l’ouvrage appartient à un genre nouveau. Outre une reconstitution précise et très documentée de la vie des classes moyennes sous l’Angleterre victorienne, le récit de l’enquête est construit comme les meilleurs polars. Mais surtout Kate Summerscale parvient à éclairer les débuts de la littérature policière anglaise à la lumière du fait divers : l’originalité de ce récit tient à la manière dont l’auteur étudie l’appropriation de cette histoire par les auteurs anglais et met en lumière l’influence de ce fait divers sur les premiers romans policiers comme « Pierre de lune » de Wilkie Collins , mais aussi plus largement sur des textes de Dickens ou même « Le Tour d’écrou » d’Henry James.
L’affaire de Road Hill House » de Kate Summerscale, Christian Bourgois, 496 p., 25€

vendredi 12 décembre 2008

"Le chemin des sortilèges" de Nathalie Rheims

Avec son dixième roman, « Le chemin des sortilèges », Nathalie Rheims poursuit son exploration de l’enfance, de la mémoire et du deuil. Elle démontre une fois de plus que le travail de l’imaginaire et de l’inconscient n’est pas moins important que l’activité diurne et consciente. Après un tableau dans « Le rêve de Balthus », ce sont les contes de notre enfance qui servent de miroir à une femme en quête d ‘elle-même.

La narratrice du « chemin des sortilèges » retrouve Roland un homme qui fut l’amant de sa mère et qui s’est retiré du monde voilà 10 ans. Chaque soir, celui qui fut pendant son enfance son confident, dépose sur son bureau un conte, de « la Belle au bois dormant » le premier jour, à « La petite marchande d’allumettes » le dernier. Commence alors un parcours initiatique où rêves, souvenirs, lecture des contes entrent en résonance, se mêlent et se confondent en un long monologue intérieur. L’auteur utilise les contes comme un palimpseste en y enchevêtrant le discours intérieur de la narratrice, orchestrant ainsi entre la fiction et la vie un riche jeu de miroir, de trompe l’œil et d’écho.

Le lecteur qui entre dans un roman de Nathalie Rheims se trouve projeté dans un univers fantastique où les frontières entre rêves et réalité sont brouillées. Telle une magicienne du verbe, Nathalie Rheims sait créer des atmosphères envoûtantes, hantées par le souvenir des morts. Une quête existentielle bien plus palpitante qu’un thriller et qui montre comment parfois la réalité a besoin du détour de l’imaginaire pour advenir.
"Le chemin des sortilèges " de Nathalie Rheims, éditions Léo Scheer, 2008, 180 pages, 14€.

lundi 8 décembre 2008

"ce que nous avons eu de meilleur" de Jean-Paul Enthoven

Dans "Ce que nous avons eu de meilleur", Jean-Paul Enthoven revisite avec une nostalgie teintée d'amertume ses séjours au palais de la Zahia à Marrakech, années pendant lesquelles il a franchi "la ligne de démarcation qui sépare la fin de la jeunesse du reste de la vie". Dans ce roman du désenchantement, il peint un beau portrait d'un lieu somptueux, la Zahia et de tous ceux qui l'ont habité, depuis l'actrice Talita Getty, la "grande prêtresse de la religion du risque" qui eut pour hôtes Marlon Brando, Maurice Ronet ou Alain Delon, jusqu'à l'actuel propriétaire, le philosophe Lewis (double littéraire de BHL).
Riad féérique aux multiples patios et terrasses, la Zahia a tout d'un paradis : le narrateur, invité par son ami Lewis, y a goûté luxe, calme et volupté parmi les happy fews dillettantes qui constituent la "cour" des maîtres des lieux. Mais si la Zahia est un paradis, c'est un paradis perdu ou du moins corrodé par le temps. Car pour le narrateur, le temps de l'insouciance semble fini.
Brillant observateur de ses contemporains, le narrateur au seuil de la vieillesse sonde ses sentiments et passe au crible ses souvenirs. Et si le roman emprunte son titre à "l'Education sentimentale" de Flaubert, il lui emprunte aussi son ironie. De même que les anti-héros flaubertiens jetaient un regard désabusé sur leur jeunesse en qualifiant de "meilleur" une suite d'échecs et de désirs inaccomplis, le narrateur en vient à considérer comme vains les plus doux moments de sa vie.
Si "Ce que nous avons eu de meilleur" n'était qu'une brillante galerie de portraits d'une intelligentsia qui se vautre dans le luxe alors qu'à deux pas la misère gronde, ce roman pourrait agacer ou même écoeurer, mais la plume à la fois grave, douce et toujours stylée d'Enthoven rend assez émouvant ce bilan désespéré d'un Casanova qui, une fois la fête finie, se retrouve seul face à lui-même.
"Ce que nous avons eu de meilleur" de Jean-Paul Enthoven, Grasset, 2008, 220 pages, 15,90€.