vendredi 27 février 2009

"La dispute" de Marivaux, au Vieux Colombier, par Muriel Mayette

Muriel Mayette, l’administratrice de la Comédie française met en scène, au Vieux Colombier, « La dispute » de Marivaux. Cette courte comédie en prose, créée en 1744, fut sifflée à sa création, et peu de metteurs en scène se sont hasardés à la reprendre, excepté Chéreau qui, en 1973, en donna une interprétation légendaire.

Dans cette pièce philosophique, la dispute amoureuse et la mise à l’épreuve des sentiments, thèmes récurrents dans l’œuvre de Marivaux, prennent une forme surprenante, celle d’une expérimentation in vivo dont la cruauté rappelle davantage Sade que les subtils jeux du langage dans «Les fausses confidences » ou « Le jeu de l’amour et du hasard ».

Un Prince (Thierry Hancisse) et son amante Hermiane (Marie-Sophie Ferdane) se disputent à propos de l’inconstance amoureuse et de l’origine de l’infidélité : qui, de l’homme ou de la femme, trahit le premier ? Pour résoudre cette question, le Prince propose d’observer le résultat d’une expérimentation imaginée par son père qui a fait élever des adolescents isolément, sans le moindre contact avec d’autres êtres humains mis à part les deux serviteurs noirs, Mesrou (Eebra Tooré) et Carise ( Bakary Sangaré, travesti en femme). Le Prince et Hermiane observent ces cobayes humains passer de la découverte de soi (et de leur reflet dans un ruisseau) à la découverte de l’autre, tomber amoureux, se trahir, se réconcilier. Le résultat de l’expérience (ou du moins de la manipulation orchestrée par le Prince par l’intermédiaire des deux serviteurs) est sans appel, l’homme et la femme sont voués à une inconstance perpétuelle qui rend impossible l’inscription de l’amour dans la durée.

Si Muriel Mayette a le mérite de présenter une lecture personnelle engagée et claire de la pièce, sa mise en scène présente deux défauts :

Le début de la pièce est trop long et lourd : pourquoi avoir rajouté ce prologue extrait d’autres œuvres de Marivaux alors que l’attaque originale était suffisamment forte et explicite : « Où allons nous, Seigneur, voici le lieu du monde le plus sauvage et le plus solitaire, et rien n'y annonce la fête que vous m'avez promise ? ». En outre, point n’est besoin ici de souligner le trait en faisant débuter la pièce par les râles suggestifs d’Hermiane hors de la scène et la vision d’un Prince débraillé qui se reboutonne : il est question de désir, le texte de Marivaux est suffisamment clair pour que le spectateur le comprenne.

La volonté de démontrer clairement la cruauté de l’expérience du Prince gomme le charme et la légèreté du texte pour n’en retenir que la noirceur. Les jeunes gens ne sont plus que des victimes de la folie du Prince qui les manipulent. Le jeu, trop appuyé, manque de subtilité. Les mouvements saccadés des adolescents proches de l’hystérie (Anne Kessler surtout, qui est pourtant une actrice capable de plus de subtilité) n’expriment rien de la fraîcheur mise en avant par d’autres metteurs en scène. L’innocence des personnages tend à se confondre avec la débilité, notamment quand ils sautent sur place pour exprimer leur joie.

Ceci dit, le texte de Marivaux reste admirable et la troupe, pleine d’énergie.

« La dispute » de Marivaux, mise en scène par Muriel Mayette au Vieux Colombier jusqu’au 15 mars 2009.

mercredi 18 février 2009

"La ville" de Martin Crimp, par Marc Paquien

Héritier de Pinter, Martin Crimp est l’un des auteurs britanniques vivants les plus joués en France. « La ville », mise en scène par Marc Paquien commence comme une comédie bourgeoise ou un vaudeville.

Un soir Claire (Marianne Denicourt), une traductrice, raconte à son mari Christopher (André Marcon) sa rencontre avec un écrivain qui lui a offert un carnet. Le mari annonce qu’il vient de perdre son emploi de cadre dans une entreprise. Plus tard, la voisine, une infirmière très étrange (Hélène Alexandridis) venue se plaindre du bruit des enfants dans le jardin se lance avec exaltation dans un récit où il est question de son mari médecin parti à la guerre et d’hommes cachés dans les égouts pour survivre, « ceux qui s’accrochent à la vie ». Claire partie à un séminaire de traduction, Christopher joue avec une étrange petite fille, double en miniature de la voisine infirmière.

Peu à peu des détails interpellent le spectateur et une inquiétante étrangeté perce sous ce quotidien qui semble banal : pourquoi la petite fille a-t-elle les mains tachées de sang ? L’infirmière existe-t-elle vraiment ou est-elle un personnage sorti de l’imagination de Claire ? Quelle est cette guerre dont parle l’infirmière ? C'est ce brouillage entre la réalité la plus banale et l'irréalité la plus menaçante qui fait la force de Martin Crimp. Derrière la drôlerie, l’absurde, perce une angoisse véritable, une menace insidieuse. Le doute sur la réalité représentée n’est jamais totalement dissipé et entraîne le spectateur dans un questionnement sans fin sur l’illusion théâtrale.

Tout est juste, précis, parfaitement maîtrisé. Depuis l’admirable diction des acteurs tous excellents à la scénographie qui dessine un décor épuré, abstrait, où apparaît parfois en fond, comme un mirage un banc ou un arbre. Le sol noir brillant projette une douce lumière sur les acteurs comme s’ils étaient éclairés à la bougie. A voir absolument.

À Paris c’est fini, il faudra aller à la Comédie de Picardie d’Amiens du 17 au 21 février, à l’Avant-Scène à Colombes le 7 mars, au théâtre national de Bordeaux les 12 et 13 mars, du 17 au 21 mars au Centre dramatique national de Lille, les 24 et 25 mars à la Coursive à La Rochelle et le 28 mars au théâtre de l’Olivier à Istres.

mardi 17 février 2009

"J'ai cherché" de Charles Juliet, lu par l'auteur et Valérie Dréville, CD

Charles Juliet, écrivain français né en 1934, a abordé dans son oeuvre presque tous les genres littéraires : journal, récit intime avec "Lambeaux" et "L'année de l'éveil", nouvelles, théâtre, poésie. "J'ai cherché" est un recueil de poèmes en prose où, dans une langue sculptée, précise et épurée, Juliet explore la solitude, son passé et la rédemption par l'écriture.
Dans ce livre audio, la diction précise et le timbre clair de Valérie Dréville illuminent le texte de Juliet. L'actrice au parcours riche - elle a joué avec Vitez, Régy, Vassiliev- artiste associée du festival d'Avignon 2008 est bien connue des amateurs d'un théâtre expérimental, risqué et exigeant. Son interprétation sobre et musicale donne à entendre la matière vive de la langue de Juliet.

"J'ai cherché" de Charles Juliet, lu par l'auteur et V. Dréville, CD audio , éditeur "Des femmes", collection La bibliothèque des voix, 18 €.

mercredi 11 février 2009

"Voix off" de Denis Podalydès, une lecture du festival Textes et voix

Il est rare de trouver autant de talents concentrés en un seul homme : acteur de théâtre (pensionnaire à la Comédie Française il joue en ce moment dans « L’illusion comique »), acteur de cinéma (dans les films d’Emmanuel Bourdieu par exemple), metteur en scène (« Fantasio » et surtout « Cyrano » en ce moment salle Richelieu), écrivain (auteur d’un remarqué « scènes de la vie d’acteur »), Denis Podalydès lisait ce soir-là des extraits de « Voix off » dans le cadre du festival « Textes et voix ». A l’origine de ce livre, une commande de Colette Fellous lui proposant de faire son autoportrait. Pour parler de lui, Podalydès a choisi de donner à entendre les voix des autres : des voix qui émergent de l’enfance, comme celle de sa grand-mère, de sa mère, d’amis ou de professeurs, des voix de radio ou de théâtre, des voix de cinéma…

La lecture commence par un roman tragi-comique qui raconte le difficile apprentissage amoureux de « l’empoté », double fictif de l’auteur. Passant du rire à l’émotion, Podalydès en vient à évoquer son amour pour les livres dans un passage sur le studio d’enregistrement : « Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus paisible, qu'un studio d'enregistrement ? Enfermé de toutes parts, encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute - sans effort de projection, dans le médium -, deux ou trois heures durant, je lis les pages d'un livre. Le monde est alors celui de ce livre. Le monde est dans le livre. Le monde est le livre ».

Rien n’est aussi évocateur qu’une voix - sauf peut-être un parfum-, et pourtant les mots manquent pour décrire ces sensations insaisissables et étranges que transporte une voix. Et pourtant Podalydès trouve l’image juste qui a la clarté de l’évidence : Charles Denner ? « Une voix de courage, voix d'angoisse légère, voix qui va, voix qui fouille », Dussolier ? « une campagne à la tombée du soir, bruissante, paisible, secrète”…
Et au fil de la soirée imperceptiblement se dégage de ces voix l’émouvante voix de Denis Podalydès, non plus l’acteur ou l’interprète mais l’écrivain.
« Voix off », de Denis Podalydès, Mercure de France, (livre + CD), 244 p., 25 €.
Textes et Voix :
http://www.textes-et-voix.asso.fr/

lundi 2 février 2009

"Minetti " de Thomas Bernhard, mis en scène par André Engel

Terrible mise en abyme au théâtre de la Colline où, dirigé par André Engel, Piccoli incarne Minetti, le grand comédien vieillissant hanté par le roi Lear, rôle interprété par Piccoli il y a trois ans sous la direction du même André Engel.

Un soir de la Saint-Sylvestre, Minetti-Piccoli débarque dans le hall d’un hôtel d’Ostende où il est censé rencontrer le directeur d’un théâtre qui lui a proposé de jouer « Le roi Lear », rôle que l’acteur répète tous les soirs depuis 30 ans. Le directeur ne viendra pas. En l’attendant, Minetti parle au portier de l’hôtel, à une femme ivre et seule, à une jeune fille qui attend son fiancé. Il ressasse sa vie, sa carrière brisée par son refus de jouer les classiques, il évoque le personnage de Lear qui le hante depuis qu’il le joua pour la première fois à 18 ans, il parle du masque de Lear que le sculpteur Ensor a créé spécialement pour lui, il réfléchit à sa vocation théâtrale.
Dans la pièce que Thomas Bernhard a créée en 1976 pour l’acteur Bernhard Minetti, le personnage de Minetti laisse perplexe : le directeur du théâtre lui a –t-il vraiment donné rendez-vous ? Minetti est-il génial ou fou ? Souvent les metteurs en scène ne tranchent pas cette ambiguïté. Ici, au début de la pièce surtout, Engel enlève à l’acteur déchu toute trace de sa grandeur et tire le personnage vers la médiocrité en faisant de Minetti un papi gâteux. En coupant la fin de la pièce où le vieil acteur disparaît dans la neige, Engel appauvrit le sens de la pièce.

Tant de ressemblances entre le personnage, le Minetti de Thomas Bernhard et l’acteur Piccoli - la vieillesse, le roi Lear, le talent – troublent et embarrassent le spectateur. Quand Piccoli ressasse ses obsessions d’une voix chevrotante est-ce l’acteur ou le personnage qui semble chercher son texte? Le décor massif de Nicki Riéti, un grand hôtel vieillot, qui semble écraser le personnage ne fait qu’accroître le malaise. Ce malaise se dissipe au cours du spectacle car le débit de Piccoli se fait moins hésitant, sa voix s’éclaircit, et le vieux radoteur du début de la pièce se transforme en héros tragique. C’est dans la troisième partie, quand Minetti soliloque avec la jeune fille (incarnée par la lumineuse Julie-Marie Parmentier) qu’il semble retrouver son aura.

Minetti de Thomas Bernhard, mis en scène par André Engel, au théâtre de la Colline jusqu’au 7 février 2009, puis en tournée à Reims, Genève, Berlin, Villeurbanne, Grenoble, Lille, Lausanne, Toulouse.