vendredi 23 janvier 2009

« Encyclopédie capricieuse du tout et du rien » de Charles Dantzig

S’inscrivant dans une longue tradition littéraire remontant aux « Notes de chevet », poétiques listes établies au XIème siècle par la courtisane Japonaise Sei Shônagon (et qui a inspiré le film de Peter Greenaway « The pillow book », d’où est extraite la photo qui sert de bannière à ce blog), Charles Dantzig donne une ampleur nouvelle à la liste avec l’ouvrage le plus surprenant de cette rentrée littéraire hivernale « Encyclopédie capricieuse du tout et du rien ».

Que ceux qui bailleraient déjà d’ennui devant les 800 pages de listes se rassurent : les listes selon Dantzig sont bien plus que de simples énumérations à la Ben Schott (l’auteur du best-seller « Les Miscellanées de Mr Schott »). Véritable Zelig de la littérature, Dantzig jongle avec les styles et passe avec brio d’un inventaire lapidaire claquant comme un haïku (comme la liste des titres contenant le mot « dimanche » ) à un portrait finement ciselé, se glisse dans la peau des grands moralistes le temps d’une méditation sur les villes, l’amour ou Venise, fait suivre un hommage (sublimes pages sur Fitzgerald et Proust) par d’élégantes saynètes avant d’épingler avec humour les ambitieux, les vaniteux, les critiques littéraires et les mauvais écrivains (et il cite des noms !).

Comme dans son « Dictionnaire égoïste de la littérature française », l’auteur agace parfois - par exemple pourquoi en veut-il au Balzac de Rodin qu’il décrit en «concierge du boulevard Raspail » ?- et on a envie de le contredire, mais ces agacements sont de courte durée car tant d’érudition, d’enthousiasme et d’humour forcent l’admiration. Dans un style alerte et élégant émaillé d’aphorismes, il partage ses enthousiasmes pour les « lieux de fééries », Venise, New-York, les danseurs, et ses détestations pour Flaubert, Guy Debord, « idole des niais » ou le mariage. Un délicieux mélange qui se savoure ligne à ligne.

« Encyclopédie capricieuse du tout et du rien » de Charles Dantzig, Grasset, 784 p., 24,90 €.

vendredi 16 janvier 2009

La rentrée littéraire de janvier (1) : sélection de romans français

Alors que les plus stakhanovistes des lecteurs ne sont pas encore venus à bout des piles de livres issus de la rentrée de septembre, la marée littéraire de janvier charrie 558 romans. Par rapport à celle de septembre, la rentrée hivernale privilégie traditionnellement les auteurs confirmés, détachés de la course aux prix littéraires. On compte également davantage d’auteurs étrangers qu’à l’automne, tendance renforcée en 2009 (211 romans étrangers contre 180 l’an passé).

Petite sélection de romans français -et étrangers bientôt- qui semblent riches de promesses :

Parmi les anciens lauréats du Goncourt - très nombreux à publier cet hiver- trois ont retenu notre attention, Makine, Rambaud et Rouaud. Avec « La vie d'un homme inconnu », Andreï Makine raconte le retour dans sa Russie natale d’un écrivain dissident. Espérons y retrouver la prose ample et poétique qui avait fait la réussite du « Testament français » (Seuil 292 p. 19,95€). Jean Rouaud continue, après « La fiancée juive », d’explorer la rencontre amoureuse, avec « La femme promise » (Gallimard 422p. 21€). Dans un genre très différent, Patrick Rambaud publie sa « Deuxième chronique du règne de Nicolas 1er » où l’on retrouve la verve et la causticité du précédent volume (Grasset 176p. 13,50€).

Passons des Goncourt au presque-Goncourt Olivier Adam, qui, après le larmoyant « A l’abri de rien », publie « Des vents contraires » aux éditions de l’Olivier. Ce roman encensé par la presse (notamment Télérama http://www.telerama.fr/livres/des-vents-contraires,37910.php) conte l’histoire d’un homme confronté à la disparition de sa femme (L’Olivier 254p. 20€).

Signalons « En bas, les nuages » de Marc Dugain, l'auteur de « La malédiction d'Edgar » qui trace sept portraits d'hommes (Flammarion 316p. 20€). Enfin pour les amateurs d’envolées érudites, « Les voyageurs du temps » de Philippe Sollers qui bénéficie d’un accueil très favorable : dans le Point, Marc Lambron évoque un « Sollers délesté et attaquant, vaporisé en ondes précises, qui calligraphie ses mantras» (Gallimard 250p. 17,90€).

mardi 13 janvier 2009

Frédéric Ferney et son Bateau Libre

Frédéric Ferney a ouvert ces derniers jours un blog littéraire «Le bateau libre » dont le nom fait écho au Bateau Livre, l’excellente émission littéraire qu’il a animée pendant 12 ans sur France 5 avant de se faire « virer » en juin 2008.

L’animateur, critique littéraire au Point, entend continuer sur le web son combat pour la littérature : « Mon seul dessein sera de partager avec vous des émotions intimes. La haine de la littérature sévit un peu partout en France, pas seulement à la télévision. Il faut donc se battre ».

En ce début d’année de crise -de la culture ?-, retrouver l’exigence, l’enthousiasme et la culture de Ferney a quelque chose de réconfortant.

lundi 5 janvier 2009

«Val de Grâce » de Colombe Schneck

C’est l’histoire d’une petite fille riche qui vivait dans un palais magique nommé Val de Grâce. Ses parents exauçaient tous ses souhaits selon le principe « les parents doivent tout à leurs enfants, leurs enfants ne leur doivent rien ». La vie de Colombe n’était que luxe, calme et mousse au chocolat. A 6 ans, elle part aux Etats-Unis danser avec Fred Astaire ou chasser le monstre du Loch Ness en Ecosse. Mais un jour le conte de fée vire au drame, les murs du palais se craquèlent, les rideaux se ternissent et la petite fille trop gâtée est expulsée du paradis de l’enfance pour découvrir le monde des adultes avec son cortège de maux, la maladie, la mort, les soucis d’argent.

Si « Val de Grâce » avait été une rédaction de la petite Colombe en classe de 4ème, nul doute que tout son entourage se serait extasié. Le souci, c’est qu’à plus de quarante ans, Colombe écrit toujours comme une collégienne. Cette autofiction vite écrite et vite lue pèche par une construction brouillonne et un manque de rythme : c’est fade, c’est pâteux : de la guimauve ! Suggérons à la jeune Colombe le sujet suivant : Commentez cette citation d’André Gide : « C'est avec les beaux sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature ».

« Val de Grâce » de Colombe Schneck, Stock, 144p. 14,50€.

jeudi 1 janvier 2009

"Les déferlantes" de Claudie Gallay

C'est l'histoire d'un lieu au bout du monde, un petit village normand perdu au bord de l'océan. Un homme y revient après de longues années d'absence. La narratrice, une femme d'une quarantaine d'années, ornithologue, l'observe, l'approche et va l'aider à découvrir la vérité sur le naufrage qui a emporté ses parents et son frère. Dans "Les déferlantes", on croise aussi Max, l'idiot du village, Lili la propriétaire du bistrot, Nan une vieille qui perd parfois la raison, Raphaël qui sculpte la douleur, Morgan sa soeur, Théo le vieux gardien du phare...Comme dans ses précédents romans, Claudie Gallay s'intéresse aux gens de peu, à des solitaires à la marge, en dehors du monde moderne, des écorchés vifs hantés par des fantômes. Mais bien plus que les hommes, les personnages principaux du roman, sont les éléments, le vent et la mer, qui bouleversent les destins et sèment la tempête dans les coeurs et les corps.
En lisant ces 500 pages à l'atmosphère étrange, où la tragédie grecque s'immisce dans un quotidien banal pour en révéler la violence, le lecteur ne peut qu'être happé par le rythme de la prose précise et sans affect de Claudie Gallay et comprend alors les raisons du succès de ce beau roman, plebiscité par les libraires.
"Les déferlantes" de Claudie Gallay, Editions du Rouergue, 525 pages, 21,50€.