jeudi 27 novembre 2008

"L'excuse" de Julie Wolkenstein

Qui n’a pas éprouvé à la lecture d’un roman cette curieuse impression que l’auteur parlait de lui ? Quel lecteur n’a pas découvert quelque chose de lui-même dans les pages d’une fiction ? Qui n’a jamais eu le sentiment de revivre une scène écrite plusieurs siècles auparavant ? C’est cette ressemblance fantastique entre la littérature et la vie qu’explore Julie Wolkenstein dans son roman « L’excuse ».

Lise revient habiter dans la maison de sa tante sur l’île de Matha’s Vineyard au large de Cap Code. Cette prof. de littérature à la retraite se plonge alors dans ses souvenirs de jeunesse car la maison de Matha’s Vineyard fut pour elle le lieu de toutes les découvertes, celle de l’Amérique mais aussi celle des sentiments, auprès de son brillant cousin Nick. Les souvenirs de Lise sont ravivés par la lecture d’un manuscrit intitulé « Déjà Vu » que Nick mort prématurément lui a laissé, texte dans lequel il expose son interprétation de la vie de Lise : pour Nick la vie de Lise ne fait que reproduire celle d’Isabelle Archer l’héroïne de « Portrait de femme » d’Henry James.

Comme Isabelle Archer, Lise a quitté un continent pour un autre, a reçu un héritage, a repoussé un prétendant amoureux pour faire un mariage malheureux. Sceptique au début de cette relecture de sa vie exposée dans le manuscrit de Nick, elle finit par s’interroger sur le sens des événements qui ont marqué sa vie : a-t-elle été manipulée ? Qui a écrit sa vie ? Au terme d’un jeu de piste haletant, Lise parviendra à découvrir la vérité sur sa propre histoire.

Suivant la structure de « Portrait de femme » d’Henry James, « L’excuse » mêle deux récits : le monologue de Lise qui se souvient de sa jeunesse dorée à Martha’s Vineyard et le manuscrit de Nick qui commente le roman de James et analyse les ressemblances avec la vie de sa cousine.

Jeu littéraire conduit avec brio, sensibilité et intelligence, « L’excuse » est bien plus qu’un exercice de style. C’est une méditation sur les pouvoirs de la littérature, une enquête quasi- fantastique sur les liens entre la fiction et la vie. A conseiller à tous les lecteurs qui ont parfois l’impression de lire leur vie dans les mots d’un écrivain.


"L’excuse" de Julie Wolkenstein, P.O.L., 344 pages, 20 euros.

mardi 18 novembre 2008

« Le premier principe, le second principe » de Serge Bramly

Après « La meilleure part des hommes », voici encore un roman de la rentrée littéraire qui repose sur des rapports ambigus entre réalité et fiction et qui reçoit aussi les honneurs d’un jury de prix littéraires, l’interallié cette fois-ci. Avec « Le premier principe, le second principe », une ample fresque à la manière d’un John Le Carré, Serge Bramly revisite la face cachée des années Mitterrand. Au centre de ce roman foisonnant, cinq personnages emblématiques des années 1980 dont les trajectoires vont se croiser jusqu’au drame.

A l’origine de ce roman, de troublantes coïncidences : que faisait sous le pont de l’Alma le paparazzi Max Jameson au moment où une princesse connaissait une fin tragique sous un tunnel ? Ce Rastignac de la photographie mort dans des circonstances étranges avait pour voisin un trafiquant d’armes et pour ami un ancien premier ministre dont la mort a également fait couler beaucoup d’encre. Rajoutons-y un conseiller du premier ministre et un membre des services secrets et l’on obtient un thriller politique qui nous entraîne d’une garden-party à l’Élysée aux bords de la mer de Chine, en passant par l’Afrique, les Balkans et l’Iran.

Si le romancier avoue s’être appuyé sur une documentation gigantesque et si le lecteur reconnaît sans effort quelles sont les personnalités qui ont inspiré les différents protagonistes, l’exergue brouille les pistes : «Tout est vrai. Rien n'est vrai. C'est un roman». Et un roman magistral où loin de se dissoudre dans le réel, l’imagination du romancier se joue de lui pour nous entraîner dans un jeu habile entre le vrai, le vraisemblable et la fiction.

Que le lecteur ne s’arrête pas au titre un peu prétentieux qui fait référence à deux principes thermodynamiques (« On refroidit inexorablement au contact d’un corps froid" et "Dans un système clos, l’entropie ne peut qu’augmenter") servant de grille d’interprétation aux événements et se plonge sans attendre dans cet ambitieux thriller.

«Le Premier Principe, le second principe», par Serge Bramly, JC Lattès, 616 p., 22 euros.

lundi 17 novembre 2008

"La meilleure part des hommes" de Tristan Garcia

Annoncé comme la révélation de cette rentrée littéraire et récompensé par le Prix de Flore, Tristan Garcia livre une fresque foisonnante sur les années 1980, avec en toile de fond l’apparition du sida, la constitution de mouvements gays et les batailles qui agitèrent le microcosme intellectuel parisien.

Sous les yeux d’Elisabeth, la narratrice, journaliste à Libé, s’affrontent trois hommes : Dominique Rossi dit « Doumé », ancien militant gauchiste, qui a fondé Stand, le premier mouvement d'émancipation de l'homosexualité en France, son amant William Miller « Will », jeune gay tête brulée qui entre sans le monde des idées sans en avoir les clés et Jean-Michel Leibowitz, intellectuel médiatisé qui part en guerre contre la pensée unique.
Doumé et Will s’aiment puis se haïssent ; la querelle privée se mue en affrontement politique puisque les deux hommes s’affrontent au temps où la communauté homosexuelle assaillie par le sida se mobilise. Alors que Doumé lutte pour l’intégration et la prévention, Willie entre en guerre contre son ancien amant et revendique sa liberté de « baiser sans capote », choix qu’il affirme avec fracas à coups d’esclandres publics, de brûlots, de coups médiatiques. Au terme de cette bataille, Doumé coule de vieux jours en vivant de ses rentes, Leibowitz finit ministre et le jeune Will récolte ce qu’il a semé et meurt seul à l’hôpital.
Ce premier roman constitue une belle plongée dans les années sida et réussit le tour de force de faire revivre une époque, avec une fougue et une insolence réjouissantes. « La meilleure part des hommes », on saisit bien toute l’ironie contenue dans ce titre, puisque le roman excelle dans la description de ce que l’époque a connu de pire : haine, malhonnêteté intellectuelle, opportunisme, lynchage médiatique, querelles communautaires…
Deux petits bémols empêchent cependant ce brillant coup d'essai d'être un coup de maître.
Est-ce pour gommer le côté « normalien qui sait écrire » que Tristan Garcia tombe dans le travers inverse, un style beaucoup trop « négligé », à la manière de Yann Moix (mais en mieux tout de même) ? Si cette écriture relâchée fait merveille dans les dialogues lorsqu’elle mime l’oralité, elle a un côté exaspérant dans les passages narratifs.
Par ailleurs, en dépit de l’avertissement de l’auteur : « Ce conte moral n'est pas une autofiction. C'est l'histoire, que je n'ai pas vécue, d'une communauté et d'une génération déchirées par le Sida, dans des quartiers où je n'ai jamais habité », le lecteur ne peut s’empêcher de reconnaître sous le masque des protagonistes des personnes bien réelles. L’écriture de Tristan Garcia avait suffisamment de force pour se passer de cet artifice-là.

Reste, après la lecture, une question : dans le roman, les personnages écrivent des livres comme on dégaine le revolver : chaque fois qu’un personnage veut se venger, il écrit un livre pour briser son adversaire, il vient inévitablement au lecteur l’interrogation suivante : à supposer que l’auteur fonctionne comme ses personnages, de qui ou de quoi a-t-il voulu se venger avec « La meilleure part des hommes » ?

« La meilleure part des hommes » de Tristan Garcia, Gallimard, 307 p., 18,50 €.

lundi 10 novembre 2008

Un voyage en Andalousie : quel guide choisir ?


Difficile de choisir son guide de voyage. Car il doit réussir la quadrature du cercle : contenir suffisamment d’informations pratiques pour préparer le voyage, permettre de s’orienter dans la ville grâce à des plans lisibles, offrir un commentaire détaillés des monuments et sites...tout en laissant la place à l’inattendu...

Pour un petit séjour d’une semaine à Séville et Cordoue, je suis partie avec 4 guides :

Guide bleu Espagne du sud :Andalousie, Murcie
Points forts : Art, histoire, civilisation, le guide le plus complet du point de vue culturel. Les principaux musées sont commentés salle par salle. Mention spéciale pour les extraits littéraires.

Points faibles : De bons plans d’ensemble mais pas de petits plans de quartiers. Pas de carnet d’adresses. Peu d’illustrations.

Pour qui ? Le lecteur du guide bleu est un pur esprit, il ne mange pas, ne dort pas et ne fait pas de shopping. En revanche, le guide bleu satisfera l’intello exigeant.

Guide bleu Espagne du sud : Andalousie, Murcie :, Hachette Tourisme , collection Guides bleus, Mars 2005, 512p., 23.90€.

Guide Gallimard Andalousie-Séville
Points forts : La richesse des illustrations : photos, croquis, schémas qui permettent de mieux comprendre les explications architecturales.

Points faibles : Le texte est parfois trop court notamment pour Cordoue qui aurait mérité de plus amples développements. Bons plans d’ensemble, mais les plans de quartiers ne sont pas très lisibles. Carnet d’adresses trop bref.

Pour qui ? : Le guide Gallimard s’adresse aux passionnés d’images.

Guide Andalousie – Séville, Collection Encyclopédies du voyage Étranger, Gallimard 2007
432 pages, 29,00 €.



Guide du Routard Andalousie 2008
Points forts : une mine d’adresses pour se loger et se restaurer, pour tous les budgets. Renseignements pratiques très utiles pour préparer le voyage.

Points faibles : peu de développements culturels et iconographie inexistante.

Pour qui ? le touriste fauché y trouvera de vrais bons plans.

Guide du Routard Andalousie 2008, éditions Hachette, 450 p., 12.90 € .

Un grand week-end à Séville
Points forts : Des itinéraires fléchés résumés dans un petit plan du quartier très pratique. De bonnes adresses.

Points faibles : Information culturelle très pauvre. Plus de pages consacrées aux boutiques de mode branchées qu’aux monuments. Une vision de la ville très superficielle.

Pour qui ? Les « modeuses » bobos en quête des lieux tendance.


« Un grand week-end à Séville », Hachette, collection un grand week-end, 144 p., avril 2008, 10.75 €.

Au total, je conseille de préparer son voyage avec le guide du Routard (transports, hébergement) puis, sur place, d’utiliser les itinéraires proposés dans « un grand week-end à » en complétant avec les informations culturelles du Guide bleu et du Gallimard.