Dans "Ce que nous avons eu de meilleur", Jean-Paul Enthoven revisite avec une nostalgie teintée d'amertume ses séjours au palais de la Zahia à Marrakech, années pendant lesquelles il a franchi "la ligne de démarcation qui sépare la fin de la jeunesse du reste de la vie". Dans ce roman du désenchantement, il peint un beau portrait d'un lieu somptueux, la Zahia et de tous ceux qui l'ont habité, depuis l'actrice Talita Getty, la "grande prêtresse de la religion du risque" qui eut pour hôtes Marlon Brando, Maurice Ronet ou Alain Delon, jusqu'à l'actuel propriétaire, le philosophe Lewis (double littéraire de BHL).
Riad féérique aux multiples patios et terrasses, la Zahia a tout d'un paradis : le narrateur, invité par son ami Lewis, y a goûté luxe, calme et volupté parmi les happy fews dillettantes qui constituent la "cour" des maîtres des lieux. Mais si la Zahia est un paradis, c'est un paradis perdu ou du moins corrodé par le temps. Car pour le narrateur, le temps de l'insouciance semble fini.
Brillant observateur de ses contemporains, le narrateur au seuil de la vieillesse sonde ses sentiments et passe au crible ses souvenirs. Et si le roman emprunte son titre à "l'Education sentimentale" de Flaubert, il lui emprunte aussi son ironie. De même que les anti-héros flaubertiens jetaient un regard désabusé sur leur jeunesse en qualifiant de "meilleur" une suite d'échecs et de désirs inaccomplis, le narrateur en vient à considérer comme vains les plus doux moments de sa vie.
Si "Ce que nous avons eu de meilleur" n'était qu'une brillante galerie de portraits d'une intelligentsia qui se vautre dans le luxe alors qu'à deux pas la misère gronde, ce roman pourrait agacer ou même écoeurer, mais la plume à la fois grave, douce et toujours stylée d'Enthoven rend assez émouvant ce bilan désespéré d'un Casanova qui, une fois la fête finie, se retrouve seul face à lui-même.
"Ce que nous avons eu de meilleur" de Jean-Paul Enthoven, Grasset, 2008, 220 pages, 15,90€.
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